L’histoire des agrumes à l’échelle planétaire est un vaste méli-mélo de croisements -naturels ou artificiels- d’espèces et de variétés, qui s’opère depuis des millions d’années. Les recherches génétiques des dernières décennies ont cependant permis d’identifier 4 à 5 espèces « ancestrales » d’agrumes, dont descendraient l’intégralité des variétés existantes aujourd’hui.
Bien que les régions de l’ouest du Japon en particulier produisent une variété formidable d’agrumes, seul le yuzu est aujourd’hui vraiment connu en France. Avec cet article, nous souhaitons vous présenter quelques-uns de ces agrumes les plus courants et les plus emblématiques de l’archipel, et même, pourquoi pas, vous donner quelques idées nouvelles d’utilisation de vos agrumes en s’inspirant de la cuisine japonaise.


« Lime » est une des appellations du citron vert, et Citrus Maxima est une espèce ancienne de pomelo/pamplemousse.
Graphique des distances génétiques du yuzu des principaux agrumes japonais – T. Shimizu et al. 2016

Le yuzu

Comme beaucoup d’agrumes, son origine géographique fait encore débat. Les premiers plants de yuzu auraient été découverts en Chine, dans la province de Hubei, et seraient le résultat d’un croisement naturel entre un ichang papeda (une espèce ancestrale de citrus) et une mandarine. Cette espèce elle-même se décline en plusieurs variétés de yuzu. Le plus connu et le plus souvent utilisé, le hon-yuzu, fait la taille d’une mandarine. Cependant, il est possible de temps de trouver au Japon et chez les pépiniéristes spécialisés les variétés hana-yuzu, plus petite et au parfum plus fin que le hon-yuzu, ou plus rare encore, l’oni-yuzu (parfois associé à la variété shishi-yuzu ou « yuzu lion »), de la taille d’un melon et à la peau particulièrement bosselée. Malgré sa dénomination, ce dernier est en vérité plus proche du pamplemousse que du citron yuzu.

L’oni-yuzu est caractéristique par sa taille et son apparence bosselée

Depuis quelques années en France et ailleurs, le yuzu se retrouve régulièrement sur le devant de la scène. Chouchou des grands restaurants et des pâtisseries parisiennes, ce citrus au parfum si prononcé est désormais bien connu de la majorité d’entre nous. Mais qu’en est-il de son utilisation traditionnelle au Japon ?

Si le yuzu est connu chez nous pour parfumer les desserts et les confiseries, son utilisation au Japon relève plutôt de la cuisine salée et de l’utilisation de son zeste. En effet, le yuzu est un agrume rempli de pépins et qui produit très peu de jus. En obtenir un petite quantité nécessite donc une grande quantité de matière première ainsi qu’une main-d’œuvre importante, d’où son prix élevé. Par conséquent, le yuzu a pendant longtemps principalement été cultivé pour son écorce, même si son jus et son vinaigre se retrouvent aujourd’hui de plus en plus souvent dans les rayons. Il est également l’agrume privilégié pour préparer le ponzu, une sauce aromatique à base de sauce soja et de bonite séchée.

En effet, le parfum du yuzu s’associe particulièrement bien avec les poissons et les fruits de mer. Souvent, la pellicule blanche de la peau est raclée pour ne conserver que le zeste. Il est ensuite très finement ciselé, et peut ainsi être utilisé pour décorer et assaisonner des plats. Il est important de noter que ce type d’utilisation est plutôt réservée aux plats de la cuisine traditionnelle washoku, en déposant par exemple quelques lamelle de yuzu sur des sushi ou des sashimi.

L’écorce et la chair du yuzu peut aussi être conservées sous forme de shio-yuzu, une macération du fruit en morceaux à base de sel (à ne pas confondre avec le yuzu-shio, un sel sec parfumé au yuzu en poudre). Le condiment obtenu peut ensuite être mixé et ajouté aux plats pour apporter une touche aromatique unique, et permet donc de moins saler vos préparations .

Le yuzu est aussi souvent consommé en infusion, une boisson communément appelée « yuzu-cha ». Son écorce ou son jus réduits en poudre peuvent également être associés avec plusieurs types de thé, notamment du thé matcha, pour créer des boissons originales. De même, la peau du fruit coupée en lamelles peut être conservée dans du miel. Le sucre assure une bonne préservation de la vitamine C naturellement présente en grande quantité dans la peau des agrumes, et les nombreuses qualités du miel pour la santé font de cette préparation un allié redoutable à la mauvaise saison.

Cependant, l’une des associations avec le yuzu les plus connues au Japon reste le piment. Spécialité de la région de Kyushu, le yuzu-kosho est un condiment fabriqué à base de pâte de piment, vert ou rouge, d’écorce de yuzu et de sel. Il est largement utilisé dans la cuisine traditionnelle de la région, et se retrouve également beaucoup sur l’île de Shikoku dont les préfectures de Tokushima et Kochi sont productrices de yuzu. Très polyvalent, il est particulièrement utile pour relever les plats. Cette association entre yuzu et piment se retrouve également sous forme de sauces, ou encore sous forme de mélanges d’épices comme le shichimi yuzu-kosho.

Le yuzu-kosho est idéal pour relever des aliments au goût peu prononcé comme le konjac

Enfin, pour notre équipe, le parfum du yuzu est aussi associé au parfum du Nouvel An. A la fin du mois de décembre, au moment du Tôji (le solstice d’hiver), il est commun d’aller se baigner dans les onsen pour se débarrasser des impuretés de l’année. Cette pratique remonte à plusieurs siècles, et les marchands de l’époque Edo commencèrent à ajouter des yuzu dans les bains à cette période de l’année pour attirer la clientèle. La pratique est encore courante aujourd’hui, et fait désormais partie des habitudes du Nouvel An.

Citron de Setouchi (Hiroshima)

Spécialité à l’appellation protégée de la préfecture d’Hiroshima, ce citron est cultivé avec une quantité limitée de pesticides, et est exporté sans cire ni conservateurs. Reconnu par les normes JA du gouvernement japonais (un label de l’agriculture responsable), ce citron jaune de belle taille peut donc être utilisé aussi bien pour son jus que pour son zeste sans le moindre souci.
Ce citron est particulièrement réputé pour son parfum et pour sa teneur en vitamine C, et il est souvent utilisé dans la confection de confiseries et pâtisseries, tels que les daifuku mochi. On le retrouve également dans le célèbre « lemon nabe » d’Hiroshima, une sorte de pot-au-feu servi avec des tranches de citron disposées sur le dessus.

Sudachi

Proche du citron vert en apparence, le sudachi se révèle en vérité beaucoup moins acide. Il serait à l’origine le produit d’un croisement entre un yuzu et une mandarine, une parenté qui lui confère son goût plus doux, sa forte teneur en jus et son parfum. Comme le yuzu, le sudachi est beaucoup utilisé traditionnellement dans les restaurants washoku avec les fruits de mer et le poisson. Dans l’esprit populaire de l’est de l’archipel, il est forcément associé à l’ayu, un poisson d’eau douce typique de l’est de l’Asie à la chair particulièrement douce. Dans les régions plus au sud cependant, notamment dans la préfecture de Tokushima où il est produit, le sudachi est utilisé beaucoup plus couramment. Il trouve par exemple sa place dans un bouillon de nouilles udon ou somen froides, découpé en fines rondelles.

Kabosu

Il est très facile de confondre le sudachi et le kabosu à leur simple apparence, ronds et vert foncé. Bien qu’ils se ressemblent tous les deux, en partie parce qu’ils sont souvent récoltés encore verts, leur teneur en acidité et leurs parfums diffèrent nettement. Tous les deux sont principalement utilisés pour leur parfum aromatique en assaisonnement de plats, mais le kabosu, moins acide que le sudachi, bénéficie d’un équilibre génétique entre le citron vert, la tangerine et le pomelo qui lui donne une place toute particulière au sein des agrumes de l’archipel.

Le kabosu peut être mélangé à une pâte de piment frais pour obtenir du kabosu-kosho. Comme le yuzu-kosho, ses utilisations sont multiples. Utilisé nature comme une harissa pour relever un plat, ou délayé dans une sauce soja ou une soupe, ce condiment moyennement pimenté mais hautement aromatique s’accorde avec un grand nombre de plats : soupe miso, udon, ramen, fondue nabe, ou encore sushi et sashimi… Frais et découpé en rondelles, il peut aussi être servi avec un bouillon de nouilles froides, comme le sudachi !

Unshu Mikan

Si vous la connaissez peut-être sous son nom international, la fameuse « mandarine Satsuma » est en vérité connue au Japon sous le nom d’unshu mikan. Importée dans les années 1870 aux Etats-Unis depuis la province de Satsuma, le nom lui est resté depuis.
L’Unshu mikan est largement utilisée au Japon pour la consommation quotidienne. Très sucrée et parfumée, elle  pour son jus et aussi pour son zeste. Sa peau qui se retire aisément a fait de cette mandarine, dans l’imaginaire collectif, le fruit de fin de repas qui est mangé en famille devant la télévision.
Son jus est naturellement très sucré et parfumé.

Hassaku

Le hassaku serait issu d’un croisement naturel entre un pomelo et une mandarine. Découvert en 1860 sur l’île d’Inno-shima (Hiroshima) par le maître du temple Jôdô de l’île, le fruit est nommé « hassaku », une référence au début du mois d’août dans l’ancien calendrier lunaire japonais, et qui est la période de maturité du fruit. D’abord spécialité de la préfecture d’Hiroshima jusque dans les années 1960, il est cependant aujourd’hui principalement cultivé dans la préfecture de Wakayama. Polyvalent, le pomelo hassaku est un agrume qui ne produit pourtant pas beaucoup de jus, mais son goût sucré sans amertume lui permet d’être consommé cru en recettes sucrées, ou salées. Il s’accorde particulièrement bien dans une salade avec des crudités, en confiture, dans des desserts en écorces confites, ou même encore avec des sashimi de poissons et de fruits de mer.

Orange Naruto

Si vous lisez régulièrement nos articles, ce nom doit vous dire quelque chose. Il s’agit en effet d’une des nombreuses variétés d’agrumes cultivés sur Awajishima, à laquelle nous avons consacré plusieurs articles. Elle est même l’une des spécialités les plus célèbres de l’île. L’orange Naruto tire son nom de la région du détroit de Naruto, entre le sud d’Awajishima et le nord de Shikoku. C’est une variété d’orange amère avec une chair acide, et qui n’est donc pas agréable à manger crue. C’est pourquoi elle est principalement cultivée pour son écorce très parfumée : marmelades et écorces confites sont des produits phares de l’île. Les orangettes au chocolat sont même la spécialité de la pâtisserie quasi centenaire Nagate Choeido à Sumoto, qui propose à la fois des pâtisseries traditionnelles, et d’inspiration occidentale.

Kumquat

Le kumquat, ou kinkan en japonais, est une espèce à part entière dont l’origine crée encore des débats au sein du monde scientifique. Ce tout petit agrume acidulé possède une peau très parfumée et peu épaisse, qui permet qu’il soit mangé tel quel. Les kumquats sont cultivés en grande quantité dans la préfecture de Miyazaki, au sud du Japon. Si ces petits fruits sont consommés crus dans l’archipel, ils sont également largement appréciés confits au sucre et à la sauce soja, ou encore réduits sous forme de sirop.

Sources

« Yuzu ichandrin (papeda hybrid). Citrus junos Sieb. ex Tanaka. Citrus ichangensis X C. reticulata var. austere« Citrus Variety CollectionUniversity of California RiversideArchived from the original on June 23, 2010. Retrieved November 17, 2012.
. Site de la ville d’Hiroshima
. Sudachi.net (jp)
. Le Japon vu en France par nos diplomates de l’Ambassade du Japon – Le yuzu et les Japonais (décembre 2021)
. Shirogohan.com – Kinkan (jp)
. Koizumipress.com – Les variétés de yuzu (jp)
. Kurashiru.com – 13 recettes avec du yuzu (jp)
. Intojapanwaraku.com – Les yuzu et la fin de l’année (jp)
. Wikipédia